mercredi 27 août 2014

Vivent les Championnats de France - Vive Nîmes !

Plusieurs visites aux Championnats de France. Etant président de la ligue de Provence, et habitant à côté, il est naturel de venir encourager les voisins.
J'ai aussi une attache particulière avec Nîmes, où j'ai passé quatre années de mon enfance à courir après les cygnes dans le Jardin des Fontaines.
Et puis j'aime le Championnat de France, pour son ambiance, on y retrouve des amis et on entend des rumeurs amusantes.

Belle salle, plus fraîche que la dernière fois

D'abord, rendons hommage à l’Échiquier Nîmois : ses membres, salariés, bénévoles, dirigeants, parents, enfants... sont l'âme des championnats.

 Le Président nîmois, ni moi, ni vous : Arnaud Perraut
(également président du comité du Gard)
Il dormira la semaine prochaine.

Ensuite remercions les salariés FFE : Erick Mouret, Joëlle Mourgues, et le directeur du championnat, le catalan Jordi Lopez.
Pas de photo pour eux, ils travaillent dans l'ombre.
Au passage, faisons taire une rumeur : contrairement à ce que dit le responsable du marketing de la FIDE, je n'ai jamais dit que les salariés de la FFE ne seront pas payés car les caisses sont vides. Les cotisations vont arriver, je connais les hauts et les bas de la trésorerie fédérale.

Georges Bellet qui gère la mise en place, le plan de salle, l'affichage. 
Ici avant la ronde, une dernière inspection.

Saluons aussi les languedociens-roussillonnais (je ne suis pas certain que le mot existe). Avec Pierre Leblic, mon collègue Président de Ligue, qui participe chez les vétérans, et Patrick Jouhannet (président du comité départemental voisin de l’Hérault) fidèle au poste derrière le stand fédéral

Patrick qui vend mes livres... et les siens... entre autre

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Je croise un président de club :
- Tiens, salut Stéphane.
- Salut jeune homme. En forme ?
- Oui, dis-moi, j'ai entendu une rumeur sur toi
- Si c'est gentil, c'est surement vrai. Dis-moi.
- (il est un peu gêné) ... et bien tu aurais reçu 100.000 € pour te présenter à la présidence de la FFE.
Je rigole et je pense à ma voiture qui viens de dépasser les 250.000 km... qui n'a pas de clim.
- Et ça vient d'où ce délire ?
Il me montre un monsieur tout rouge qui a un micro à la main.
Il y en a qui feraient mieux de chercher des partenaires privés et publics.

Voici quelques rumeurs à venir : 
La Ligue de Provence va fusionner avec la Ligue de la Réunion.
Stéphane Escafre va proposer de supprimer le roque pour rendre les parties plus agressives.
Les clubs vont toucher 1.000.000 € de la FFE
Stéphane Escafre est le fils d'Ilioumjinov et de Mamie Nova.
Escafre entraîne en secret Godzilla pour détruire le siège fédéral
etc.

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On croise la Présidente de Nice qui prend en photo le Président de la Ligue de Franche Comté


Saluons les arbitres. Ils remettent en place les pendules à chaque nouvelle ronde, pour éviter la tentation (le championnat de France à Caen avait vu disparaître beaucoup de pendules). 
Contrairement à la rumeur que fait courir un salarié du club de Châlons, je n'ai jamais dit que les arbitres ne seraient pas payés. Pourquoi passe-t-il son temps à médire de moi ?


Le chef de l'équipe d'arbitre, l'excellent John Lewis. Normalement, c'est lui qui compose l'équipe d'arbitres. Pourquoi ne suis-je pas dans son équipe ? Le Directeur des arbitres FFE a oublié de lui transmettre ma candidature, il a d'ailleurs composé l'équipe à la place de John, oubliant d'appliquer le règlement fédéral.
C'est fou ce qu'il y a comme distrait chez les gens courageux.

Passage poétique avec Christopher Boyd. Vous ne connaissez pas The Boyd Experience ?
Il est en train de croquer Georges Bertola, le célèbre chroniqueur, avec qui j'échangeais quelques mots.
- je dessine à deux mains.
- et ça sert à quoi ?
- ça va plus vite.


Willy Fontaine devant un dessin de palmier. Dans quelques jours, je vais retrouver Willy devant des vrais palmiers, pour l'Open International de la Réunion.
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C'est triste et amusant de constater que certains font de la petite politique politicienne au lieu de faire le boulot pour lequel ils sont élus (et payés). Les prochaines élections fédérales sont loin.
Président de la Commission d'Appels Sportifs de la fédération, Président d'une Ligue Régionale, et responsables des scolaires pour mon département ... ces activités bénévoles m'occupent suffisamment, merci.
Je suis serein, la Ligue est en bonne santé financière, et nous proposons de belles activités. C'est le fruit du travail de nombreux bénévoles et professionnels. Nos ligues voisines font aussi un remarquable travail au quotidien.
Certains dirigeants fédéraux feraient bien de s'inspirer du terrain. Et s'ils n'ont pas encore obtenus de résultats, je leur conseille de se retrousser les manches et de bosser un peu au lieu de dire du mal du voisin. Nous ne sommes pas assez nombreux pour nous payer le luxe de nous diviser.
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Si vous avez des idées de rumeurs, n'hésitez pas à les envoyer.
Escafre veut perdre du poids pour se présenter à Miss Univers
Escafre est payé 2.000 € pour arbitrer bénévolement un tournoi scolaire
S'il va si souvent à la Réunion, c'est parce qu'il a 15 enfants métisses sur place, et ils mangent des baleines.

vendredi 15 août 2014

Une dernière ronde agitée

Après de très belles journées, voici le brouillard et une petite pluie fine. On se croirait à Vénaco.

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Dernière ronde. Le chef arbitre nous fait un petit speech pour la première fois directement. Dans le premier secteur, on joue pour le titre, les médailles, le podium. Il faut donc être particulièrement vigilant.
Les français jouent pour le podium, ce qui m'interdit d'arbitrer les garçons. Je ne peux pas arbitrer un concurrent direct.
Les filles jouent bien, mais juste en-dessous du 1er secteur, je reviens donc chez les féminines, pour le plus grand plaisirs de ces dames.

(tiens, Nepomniachtchi passe dans l’aéroport)

Arménie - Espagne. C'est la première fois que j'arbitre un pays dont je comprends (un peu) la langue.
J'ai arbitré les fédérations suivantes :
Norvège, 7 fois
Ukraine, 2 fois
Allemagne
Arménie (femmes et Open)
Bosnie Herzegovine
Bulgarie
Chine (les champions)
Espagne (femmes)
Georgie (femmes)
Italie
Montenegro
Pologne (femmes et Opens)
Yemen

Les trois meilleurs joueurs du monde et de ses environs : Carsen, Aronian et Caruana, ainsi que Topalov, Ivanchuk, Ding, Ponomariov, Wojtascek, Wang, Naïditch, pour ne citer que les plus de 2700 Elo.

Mais revenons à la dernière ronde.

(Tiens un arbitre suédois)

J'arbitre les ibères, et nous allons voir que l'ibère sera rude.


Pour rafraîchir mon espagnol, en attendant que les équipes s'installent, je discute dans la langue de Cervantès avec ma voisine roumaine. Malgré ses 80 ans, la coquine n'hésite pas à me dire :
Elle : Te quiero mucho !
Moi : Yo tambien.
Elle : No te creo
La décence m'interdit de traduire ce dialogue torride.

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Les parties commencent. Un petit monsieur se glisse entre les tables. Je le vois de dos, et son kimono noir m'intrigue un peu. Il se retourne, et je reconnais Fernando Arrabal, l'écrivain, dramaturge, cinéaste, etc... espagnol. Lunettes de soleil en strass portées sur le front, au-dessus de ses lunettes de vue. Kimono noir, orné d'un dragons doré. L'artiste ne s'arrête pas plus de quelques secondes pour regarder les positions. Visiblement, il est là pour se montrer, pas pour observer. Je le reconnais facilement, car j'ai regardé "Avida" de Benoît Delépine et Gustave de Kervern avant de partir, il y joue le rôle d'une sorte de torero.

On repère immédiatement les spectateurs qui ne font pas partie du monde échiquéen. Ils dérangent les joueurs sans s'en rendre compte, en leur faisant face, ou en restant trop longtemps dans leur dos. Vous connaissez surement cette sensation désagréable.

 Imaginez cette mouche face à vous

Comme on est encore au tout début de la ronde, les photos sont autorisées. J'indique à Ladislav la présence de l'artiste. "C'est qui Arrabal ?"
Je me tourne alors vers Adnane Nesla, l'assistant d'Elisabeta (celle avec qui j'ai parlé espagnol, suivez un peu), et lui indique la présence du surréaliste. "C'est qui Arrabal ?"
Il a quand même écrit quatre bouquins sur les échecs, mais ... bon, je ne les ai pas lus. Quand j'étais lycéen, j'avais emprunté "Le Bréviaire d'amour d'un haltérophile" à la bibliothèque municipale. J'avais trouvé le titre amusant... la pièce moins.

(l'équipe du Nigéria double tout le monde, leur avions est annoncé, ils ne veulent pas le rater)

France-Russie semble attirer Arrabal. Il est trop proche des joueurs, l'arbitre turc lui fait signe de s'écarter.   Le V.I.P. montre son badge, ce qui ne convainc pas l'arbitre, mais le président de la fédération espagnole, Javier Ochoa de Echaguen Estibalez (ils sont plusieurs ?), indique au gardien de la paix échiquéenne que l'homme en kimono est une vache sacrée.
Le confort des joueurs est menacé.
Le voici devant USA-Azerbaïdjan. Nakamura lui fait signe de s'écarter une première fois. Arrabal fait un petit tour puis revient. Nakamura va voir son capitaine qui se plaint à ma voisine arbitre. Comme elle se déplace difficilement, et parce que Nakamura ne fait pas ch... Arrabal quand celui-ce écrit ses pièces de théâtre, j'interviens. Mais il m'est difficile d'intervenir directement, chacun son rôle, et puis ce n'est pas mon match. Je vais donc voir Panagiotis Nikolopoulos, alias Takis le grec, le chef arbitre :

Moi : Nous avons un soucis avec monsieur Arrabal, il dérange Nakamura.
Takis : C'est qui Arrabal ? (décidément !)
Moi : un écrivain, un artiste espagnol connu.

Au mot "artiste", le sourcil droit de Takis m'indique qu'il a compris la situation. Heureusement pour Arrabal, je n'ai pas dit "poète", sinon c'était le goudron et les plumes.

(Monsieur Abdelmoula Lemsioui, le délégué de la fédération royale marocaine des échecs, passe à côté de la table où j'écris. Il a neuf heures d'attente à l'aéroport d'Oslo. J'en ai huit à Trondheim, il a gagné.) 

Je désigne à Takis Nikolopoulos l'artiste qui ne passe pas inaperçu. Arrabal se fait voir par le grec. Le chef arbitre m'indique qu'il s'en occupe.
Un peu plus tard, il vient me dire qu'il a vu Ochoa, et lui a demandé de faire en sorte qu'Arrabal ne se mette pas trop près.  Il écarte les bras, et fait une grimace qui veut dire soit : "Faut faire avec, mon bon monsieur" ou bien "Je reprendrai bien un peu de souvlaki". J'opte pour la première réponse.

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Les françaises jouent juste derrière moi. Je m'interdis de les regarder, ce qui est idiot car elles sont intelligentes et jolies.
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Toutes les demi-heures, nous notons les temps sur les pendules et le nombre de coups joués. Je décide d'attendre que mon voisin se lève pour me lever en même temps. Pourvu qu'il ne fasse pas la même chose.

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Aris arbitre la Norvège. Il termine très tôt mais reste un peu pour nous narguer. "Au lieu de faire le malin, tu pourrais nous apporter du saumon" (il est bientôt 15h, et nous n'avons rien mangé à midi).
Quelques instants plus tard, il arrive avec sa tablette d'arbitre qu'il porte comme un plateau. Sur ce plateau se trouve un petit gâteau sec, très bien présenté mais très sec... pourvu que personne ne me pose une question.
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J'ai mangé tellement de saumon que je dois avoir plus de mercure qu'un vieux thermomètre.

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Un incident  dramatique est survenu pendant la dernière ronde. Un joueur secheyllois a été victime d'une crise cardiaque pendant sa partie. Il a été amené à l’hôpital, et son état semble grave.
Il y a eu un mouvement de foule : les gens ont étendu des cris indistincts. On ne savait pas encore qu'il s'agissait d'un malaise cardiaque. Certains joueurs ont quitté la salle de jeu, craignant une bagarre ou pire. Nous avons du arrêter les pendules, et rassurer les joueurs et les joueuses.
Après une annonce au micro, les participants ont pu reprendre leur partie. Cet événement a eu lieu après la première période de jeu. La plupart des parties étaient déjà terminées.

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L'équipe de France féminine termine à peu prêt à son classement sur la ligne de départ.
Chez les garçons la 13e place est décevante. Ils partaient 3e. Pourtant les français ont joué à leur niveau. Devant eux, les équipes se sont surpassées.
Bravo aux Chinois, premier dans l'Open et 2e chez les femmes.
Les résultats officiels : Open - Femmes

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(Skembris, le Grand Maître grec discute avec Susan Polgar et l’entraîneur de l'équipe féminine de Norvège. Pour l'instant, je n'entends que Spyros.)


première étape pour le retour
il pleut

jeudi 14 août 2014

on dit pas "reine", on dit "dame"

Ah ben non, on dit rennes


photo prise depuis l'intérieur du bus, retour de la dernière ronde.
Ces trois rennes étaient en liberté.



mercredi 13 août 2014

Femmes Femmes Femmes

Dans la navette qui nous mène à la salle de jeu, nous passons dans un tunnel dans lequel il y a des ronds-points ! Unique au monde d'après les norvégiens.


Ah ben oui, ça bouge dans un bus... what did you expect ?

Aujourd'hui des femmes, mais d'abord les hommes. Un peu de pub pour l'Océan Indien avec nos amis malgaches, dont Patrick, Arbitre FIDE, debout... un arbitre est toujours debout. Et quand il s'assoit ? Il reste debout moralement ! non mais ! ...


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Madame la Première Ministre de Norvège, Erna Solberg, lance l'avant-dernière ronde. 
Avant elle, nous avions eu la ministre de la pêche et la ministre des finances. Trois femmes, ce qui tend à prouver que la politique n'est pas une activité importante en Norvège. Quoi j'ai dit une bêtise ? C'est pas des femmes ? Si, alors...

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Depuis le début des Olympiades, j'officie dans le secteur 1. Nous avons les premiers matchs des hommes (open) et des femmes (femmes). Jusqu'ici je n'ai arbitré que les hommes. Nous tournons un peu. Les femmes me réclament, j'arbitre donc Pologne-Géorgie chez les filles.

L'arbitre/président de la fédération polonaise vient de temps en temps. Personnellement, je ne vais pas voir jouer mon équipe nationale... mais si j'étais président de la fédération, j'hésiterai un peu.
Le Maître (très) International, Damir Levacic me donne des infos sur l'équipe de France, son évaluation n'est pas optimiste.

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Croisé Europe Échecs (Bachard K. et Gérard D.), dans le sillage de Kirsan, fier de sa victoire. Je salue E.E., et réussi à éviter Kirsan. Garder le même président pendant 20 ans, dans n'importe quelle institution, ce n'est pas sain.
Je trouve qu'il a la même démarche que Campomanes, son prédécesseur, que j'avais croisé à Turin. Des petits pas cours, le regard très lointain, et surtout un visage de marbre qui s'anime soudain d'un sourire, à la vue d'un être utile à sa gloire.

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Les filles de l'équipe de France ont souffert aujourd'hui. Mais elles ont été courageuses. Ce sont des battantes. Le Capitaine aussi était chagriné. Il a même oublié de récupérer les cartes vertes, sésame indispensable pour pouvoir entrer dans la salle, après la journée de repos.


L'arbitre seychelloise du match sait que je suis français. Elle me remet les précieuses cartes. Je contacte Matthieu Cornette. On règle ça demain..

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L'arbitre en chef vient me voir."Tu as déjà arbitré des Olympiades, n'est-ce pas ? " "oui...", "OK, cette joueuse doit rester après sa partie. Attendre avec toi, et ne pas aller aux toilettes. Elle subit un contrôle anti-dopage".
Je surveille du coin de l’œil, mais le match semble être entré dans une période calme.
Après avoir été (très peu) payé, pendant la moitié des Olympiades, pour suivre les parties du Champion du Monde, me voici (trop peu) payé pour regarder "Huit Femmes", intelligentes et belles, qui, comme dans un film de François Ozon, s’entre-tuent subtilement.
La partie de Socko se termine, elle a perdu. Je lui demande de rester un peu, mais le responsable de la commission médicale est déjà là. Elle le suit, mon rôle est terminé.
L'arbitre doit parfois chercher les joueurs. Je me souviens de ce médecin du sport qui avait débarqué à l'improviste (c'est l'idée)... mais le jour de repos du championnat de France. J'avais dû appeler les deux joueurs choisis. L'un d'eux m'avait demandé si le cognac était dans la liste des produits dopants ... ^^
Je vais voir le président polonais, pensant que ça allait l'amuser qu'une de ses joueuses subisse un contrôle anti-dopage. Les dopants aux échecs ne servent pas à grand chose, et les joueurs ne prennent donc pas de substances, sauf cas rares prescrits par la faculté. Des gros bras musclés ne sont pas indispensables. Il n'y a donc pas de pression à subir ces contrôles, contrairement à d'autres sports.
Mais Thomasz ne sourit pas. Au contraire, il bouillonne. Apparemment, il y a une vieille histoire, et la Pologne et souvent tirée au sort... c'est d'ailleurs la 2e fois que cette joueuse subit un contrôle cette année. Tss tsss.

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Il est une heure du matin, il fait quasiment nuit. De gros nuages complices cachent les rares rayons du Soleil. Je suis fatigué, je vais me reposer. A demain !

Bonjour ! Il est 6h passées, les nuages sont moins nombreux. Je passe à la salle de bain (un peu de pogonotomie), et vous rejoins après le petit-déjeuner.

Reprenons donc.

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Le match phare chez les fille, c'est Ukraine-Russie. Pour des raisons sportives, les deux équipes jouent pour le titre avec la Chine. Pour des raisons politiques (ouvrez n'importe quel journal). Pour des raisons juridiques: la meilleure joueuse ukrainienne, Lagno, est passée à la Russie. Son transfert est contesté. Les avocats vont se faire un peu d'argent. L'Ukraine gagne.

Le loup en haut, Lagno en bas.
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Elisabeta Polihroniade est ma voisine. C'est une légende. Elle est roumaine, Grand-Maître, arbitre internationale. Tous les officiels viennent la saluer au début de la ronde. Elle parle très bien français. 
Son assistant, Adnane Nesla, l'appelle "Queen Elisabeth", et c'est une marque de respect. Elisabeta est dans sa quatre-vingtième année.

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Je croise un membre de la délégation chinoise que j'avais rencontré en 2006. Je lui rappelle dans quelles circonstances nous nous étions connus. Il fait gentiment semblant de se rappeler de moi.
1ère remarque : tous les asiatiques ne se ressemblent pas.
Je lui demande des nouvelles de son épouse. "Elle est partie aux Etats-Unis".
2e remarque : en diplomatie, ne jamais poser de questions dont on ne connait pas déjà la réponse.

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Peu avant la ronde, un collègue arbitre (je ne peux pas citer son nom pour des raisons évidentes) se fige et ouvre la bouche en grand. Il lâche un soupir "She is wonderrrrrfuuull" (elle est maaaaaâaaaagnifique). Je me retourne et lui demande : La jeune femme en chemise rouge et pantalon noir ? "Yeeeeeesss" 
Il est contemplatif.


Je lui demande s'il aimerait la rencontrer. 
Lui : Are you crazy ? (t'es malade ou quoi ?). 
Moi : Je vais te montrer comme un français s'y prendrait.
Je lance "Lady", et d'un geste de la main, je l'invite à nous rejoindre. Je force un peu sur le côté macho. Et avant qu'elle ne soit à notre niveau, dit à l'arbitre "Tu vois, c'est facile, il suffit de les appeler et elles viennent en souriant".
Le collègue est assez impressionné par mon efficacité. Naturellement, il ignore que je connaissais déjà cette arbitre stagiaire, fan de l'équipe chinoise que j'ai arbitré. Nous avions échangé quelques mots amicaux. Je sens que le collègue commence à paniquer. Je continue comme si je la rencontrais pour la première fois : "Hello Miss, what's your name ?" (Bonjour Mademoiselle, comment vous appelez-vous ?). Voici mon collègue (je donne son prénom). Il vous trouve très jolie. Et là, il devient tout rouge, part en courant, et à 5 ou 6 mètres, il me lance "Je te hais, je vais te tuer. Ne l'écoutez pas !!"
Je bascule en mode technique, et demande alors à la jeune femme où en sont les chinois. Et bien, sur 36 parties jouées, ils n'en ont perdu qu'une seule, c'est impressionnant.
Je désigne ostensiblement mon collègue timide : Vous pouvez continuer à le fixer, c'est juste pour le mettre mal à l'aise.
Cela semble fonctionner.
Et ces chinois alors ? Ding Liren gagne 8 points Elo. Je crois que ses parents l'ont appelé "Ding" parce que ça sonne bien.

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Savez-vous à quoi on reconnait arbitre d'échecs dans un tournoi , ou un un psy dans une boite de strip-tease ?
Ce sont les seuls qui regardent les spectateurs.

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Terminons avec le repas du soir, servi sous forme d'un excellent buffet. Stephen Boyd et moi avançons, et derrière nous se place Geurt Gijssen, LA référence mondiale, celui pour qui on a inventé le mot "arbitre".
"oh mais c'est Geurt", dit Stephen qui n'a pas le sens du sacré.
J'en rajoute un peu "Geurt the great !, the incredible !" (le Grand Geurt, le fantastique !)
Gijssen entre alors dans le jeu et déclare avec emphase "THE UNBELIVABLE !" (L'INCROYABLE !)

(photo Ladislav Palovsky)

Je lui propose de dîner ensemble, il accepte gentiment. Gijssen demande simplement au photographe de ne pas prendre l'assiette en photo, on ne sait jamais, si sa femme regarde...

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Durant les parties, les arbitres ne mangent pas.

lundi 11 août 2014

Ronde 9, table 1 Chine-Ukraine

On m'attribue la table 1. Je peux donc continuer de ma la péter grave. Mon voisin est le jeune (il a un an de moins que moi) Président de la Fédération de Pologne, Thomasz Delega, j'aime son style d'arbitrage, calme, précis, un peu nonchalant, mais vif quand il le faut. Un arbitre rassurant et bien élevé.
Idem pour Ladislav Palovsky (république Tchèque) qui est le nouveau "tv star". Son blog est très intéressant. Les photos de Ladislav.

(ici, Ladislav prend des conseils d'un vieux sage - site officiel)

Petit soucis du côté de Bejing. Thomasz m'aide à régler les fauteuils des chinois. Il faut les abaisser, et il sait faire ça mieux que moi.

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Au début de la ronde, l'arbitre en chef déclare au micro : "Un téléphone portable a été trouvé dans la salle de jeu"... silence glacial (vous me direz qu'on est près du Pôle Nord) une affaire de tricherie est-elle découverte ? Les joueurs et les arbitres sont un peu tendus. 
La suite arrive : "le propriétaire est prié de venir le chercher". Après une seconde de flottement, un immense éclat de rire se propage dans la salle. 
Pour ceux qui l'ignorent : la sanction pour avoir apporté un téléphone dans la salle est perte de la partie. Le chef arbitre a donc demandé : "Qui veut se dénoncer et perdre la partie d'hier ?"

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Les français jouent table 2, contre les Tchèques. Problème : la table 2 étant filmée, elle a été réquisitionnée pour l'équipe 2 de Norvège qui fait un excellent championnat et affronte les redoutables russes. On échange les deux matchs, et la France se retrouve donc reléguée dans le secteur suivant. Ce n'est pas très élégant, mais les joueurs prennent ça avec philosophie... sauf le capitaine de la République Tchèque qui tombe sur moi. Il est tellement en colère qu'il m'insulte en tchèque. Il a de la chance, je ne comprends pas cette langue. Je lui indique où se trouve son équipe. Il quitte le secteur en marmonnant.
A la fin de sa partie, je croise Etienne Bacrot. Habituellement peu expressif, il semble content. "Tu as fait quoi ?" "J'ai rasé !"... à son sourire, ça doit être positif France 2e !

(photo site officiel)

Les filles ont souffert contre la Chine, j'ai passé un petit moment avec Mathilde Congiu, mon match était terminé. Je crois que ça lui a fait du bien de balancer quelques grossièretés, j'en ai rajouté, mais elle a été beaucoup plus forte que moi. Elle s'est défoulée.

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Samy Shoker passe derrière moi, non pas pour me saluer, mais pour suivre des parties sur écran géant. Je le salue tout de même. Je n'arrive pas à me rappeler s'il est joueur ou entraîneur pour l'Egypte. Je vérifie alors sur son badge. Il le remarque.
- Joueur, je suis joueur.
- Oui, tu es encore jeune, en vieillissant on devient entraîneur, puis, la déchéance, c'est capitaine.
- La déchéance ultime, c'est arbitre.
Il s'excuse d'avoir été drôle.

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Chine-Ukraine donc. 
Parmi les spectateurs, on voit Grichuk, Radjabov, Van Wely, Kramnik, Topalov, Magnus Carlsen, et ... Antoine Canonne.

Comme hier, Ivanchuck s'inonde la tête avec sa bouteille d'eau, éclaboussant la moquette. Aujourd'hui, la feuille de partie reste sèche. 

Pour aller aux toilettes, ou à la buvette, les joueurs quittent la zone délimitée par des barrières. Les joueurs chinois font le tour de la salle jusqu'à ce qu'ils trouvent un passage. Les Ukrainiens (sauf Ivantchuck) passent sous la barrière, ça va plus vite.


On nous a obligé à porter ce polo bleu aujourd'hui. Demain, je reviens à la chemise et costume cravate. 
Bonne nouvelle, j'ai trouvé des boutons de manchette.


 Mais alors que fait Ivanchuck quand il revient dans la salle, bloqué par les barrières ? Fait-il le tour ? Passe-t-il en dessous ?
Non, il bug. Il reste bloqué à l'extérieur, tel Loujine, dans son monde intérieur. Comme il a l'air contrarié, j'ouvre le passage "Vassily, this way please".

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Le Capitaine de l'Ukraine me demande si je peux passer un tee-shirt à Ruslan Ponomariov (ancien champion du monde fide). Pourquoi pas ?
Je passe donc le tee-shirt au grand-maître directement (les communications entre joueurs et capitaines sont limitées). Ruslan voit que le tee-shirt est à la gloire du Président de la fide, candidat à sa propre succession, Kirsan. ... Ponomariov fait un geste de la main, et une moue "Je ne peux pas porter un tee shirt de propagande"... Le capitaine est désolé. Ponomariov garde ses manches longues.

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Durant ses parties, Ding (n°1 chinois) mange des Twiks.

Ronde 8 : Ukraine - Bulgarie

La "nuit" tombe un peu après minuit, et le jour se lève un peu avant 1h du matin.


Une nuit toute relative. Je pourrai dire que j'ai passé une journée en Norvège pendant deux semaines.

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Le Sector Arbitor me donne le match du jour, encore la Norvège... je suis un peu surpris. J'avais indiqué la veille à mes roommates que je sentais chez mes collègues un certain agacement (justifié) à me voir arbitrer tous les jours le Champion du Monde.
Takis, le sage chef arbitre arrive : "Change un peu les attributions". Il me montre du doigt : "La moitié des rondes sous les caméras, ça suffit, en plus il a été interviewé hier".
Vanitas vanitatum et omnia vanitas.

Après la réaffectation, je gère le match Ukraine-Bulgarie, avec des joueurs prestigieux comme Ivantchuk, Topalov, Ponomariov ou Cheparinov. Les deux équipes sont dans le top 10, elles jouent encore pour le titre.

La France joue juste à côté, je n'interviendrai pas, naturellement. Vlad se promène avec son pull noué à la taille, on dirait qu'il va découper une carcasse de bœuf.

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Quatre frenchies aux Olympiades, Stephen, Anémone, Nadir, Stéphane.

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Les joueurs arrivent, avec leurs cartes vertes signifiant qu'ils peuvent entrer dans la salle. Ivantchuk arrive avec une carte jaune... pourquoi ne suis-je pas surpris ?
Tchouky est connu pour ses excentricités. Il vit dans son monde.
Il renverse sa bouteille d'eau. La feuille de partie est un peu touchée, mais son stylo semble fonctionner. Rien vers les câbles. Il ne semble pas réveillé... mais comme il semble rarement réveillé, je me demande si c'est son état naturel, ou les conséquence de l'absence de nuit. Un peu plus tard dans la partie, il s’asperge le visage.
Topalov et lui jouent très vite, ils dépassent le contrôle de temps avec une bonne heure d'avance (sur 4h). Après leur partie nulle, je récupère la carte de Topalov, mais Ivanchuk ne comprend pas. Le capitaine ukrainien m'explique alors qu'on lui a donné une carte VIP pour simplifier. D'où la carte jaune au lieu de la carte verte.

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Le très respectable Geurt Gijssen.
Il a présidé ce matin même sa dernière séance du Comité des Règles. Un grand arbitre.

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Derrière moi se trouve une "volunteer" (bénévole). Elle filtre les entrée. Quand elle apprend que je suis français, elle me dit "j'aime la pomme rouge". Cela ressemble à un exercice de diction. Elle répète cette phrase plusieurs fois dans l'après-midi.
Le meilleur joueur russe, Grichuck (n°4 mondial) tente de rentrer dans le secteur I, alors que son équipe joue dans le secteur II. La "volunteer" regarde son badge (elle ne le connait pas) et l'arrête d'un sourire. De l'avantage d'avoir des bénévoles qui ne connaissent pas les joueurs d'échecs, ils font respecter le règlement.
Plus tard, la jeune femme est remplacée par quelqu'un de moins consciencieux. Je vois alors passer Grishuck, puis Kramnik (ancien Champion du Monde) qui joue au 2e échiquier de la Russie. En revanche, pas de Karjakin, le n°3. Karjakin gagne sa partie, Grishuck se contente du match nul, et Kramnik perd. Pas brillant pour les russes, ce n'est pas encore cette année qu'ils gagneront les Olympiades.

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Georg Kradolfer, arbitre suisse, surveille Margit Brokko, arbitre estonienne.
La tenue de la jeune femme a inspiré plusieurs joueurs. "Où est la case d6 ? Ici ou là ?"

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Une journaliste de Guyana (pas la Guyane française, sa voisine), passait les premières rondes parmi les spectateurs derrière Carlsen. Elle s'ennuyait un peu, au point d'échanger quelques mot avec l'arbitre.
Elle passe aujourd'hui près de mon match. Comme elle s'ennuie toujours, nous échangeons quelques mots. Elle a suivi le cours d'arbitrage donné en marge de la compétition. Lors de l'examen, il faut obtenir un score minimum de 80%.
Je ne sais pas si c'est mon accent anglais ou son oreille sud américaine. Mais notre dialogue donne quelque chose comme ça :
- J'ai passé l'examen, mais il est difficile.
- Vous pensez arriver au score de 80 ?
- Non, j'ai 23 ans.

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Même aux Olympiades, je fais de la pub pour l'Open International de la Réunion. 
Ici à l'association des fédération francophones.

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A droite, Stewart Reuben, l'homme qui écrit les règles du jeu d'échecs !
A gauche, l'homme qui lit les règles du jeu.

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J'ai compris le rôle du capitaine : il enlève les peaux de bananes et apporte du café.

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Après sa victoire face à la Géorgie, la France se glisse à la 2e place, derrière la Chine. Voir le classement.

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Durant les parties, les arbitres mangent des cookies.

dimanche 10 août 2014

Maxime le marathonien, Magnus et la myrtille chutent

Happy birthday Caroline !

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Equipe de France : Stephen Boyd, Nadir Bounzou et moi allons prendre la navette qui nous ramène à l'hôtel. Une fois les parties terminées, nous avons eu le temps de faire notre travail administratif, de discuter un peu avec Laurent Freyd (arbitre français, membre du Comité de lutte contre la triche), de manger... bref, un long moment s'est écoulé depuis la fin de nos matchs.
Nous longeons le port, et tombons sur Sébastien Mazé et Maxime Vachier-Lagrave, le capitaine et le n°1 français. Maxime jouait encore à notre départ. Le score du match dépendait du résultat de sa partie. Victoire après 139 coups ! C'est le record pour cette Olympiade. Une partie moyenne dure trois fois moins longtemps. Bravo Maxime ! Bravo à l'équipe !
Résultats et classements

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Croisé Jean-Claude Moingt, l'ancien président de la FFE est toujours membre du Bureau de l'European Chess Union (ECU). Les élections de l'ECU et de la fédération internationale approchent. Jean-Claude est dans son monde. Il se régale.
A suivre sur son blog.

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En début d'après midi, j'arrive dans la salle de jeu. Takis, le chef arbitre, me fait signe « Stéphane ! Ce monsieur veut te parler. C'est la TV nationale norvégienne». Je demande à Takis si c'est pour me verser un peu d'argent pour mes prestations quotidiennes. « Peut-être tu pourras négocier après » répond-t-il avec un sourire, et il nous laisse.
Nous sommes à la moitié des Olympiades, et depuis le début, j'arbitre l'équipe nationale norvégienne, avec sa star Magnus Carlsen. Comme je suis présent pendant les parties de leur joueurs, les norvégiens ont la chance de me voir tous les jours, si si c'est une chance, et ça permet à ma compagne de vérifier que je suis bien à mon poste. 
Il y a 5h de direct à la TV nationale, et il parait que les gens se demandent qui est ce gros monsieur barbu, et surtout à quoi sert-il, assis sur sa chaise.
Une courte interview est prévue à 13h25.
Voici la charmante journaliste. Elle parle un français parfait, mais nous faisons l'interview en anglais.

Ici, je montre à la jeune femme comment mettre une claque à un enfant trop bruyant.

D'après Karl, un arbitre norvégien, les commentateurs tv disent que je suis discret et peu intrusif, ça me va.

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Simen Agdestein mange un paquet de myrtilles... enfin... il mange les myrtilles pas le paquet. Il est debout, il est un peu nerveux. Une myrtille lui glisse des doigts, elle tombe, rebondi et roule sous la table voisine. Agdestein sait qu'il a fait quelque chose d'incorrect, il regarde le visage de Naïditch... tout va bien, l'allemand n'a rien remarqué, il n'a pas été dérangé par l'incident. 
Je suis inquiet. Qu'est devenu la myrtille, ne serait-ce pas un élément perturbateur ? Et si un joueur glissait dessus ? Où est-elle ? Je la repère sous la chaise germanique, à deux centimètres de la roulette.
Je décide d'attendre que Carlsen et Naïditch soient tous les deux levés pour retirer ce danger potentiel. Hélas les quatre échiquiers sont en crise de temps, et je dois surveiller le dessus des tables.
Quand je reviens à mon poste d'observation, une tache violette témoigne de la disparition tragique de la baie.  Repose en paix petite myrtille.

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Durant sa partie Naïditch mange des pions.

samedi 9 août 2014

Aris tôt craque

Au petit déjeuner, notre amis canadien Aris (sur la photo ci-dessous, il me donne la recette du caribou au sirop d'érable) nous a raconté ce qui lui est arrivé ce matin.


Il se couche vers trois heures du matin, tout le monde est un peu décalé avec ce soleil de minuit.

Il s'endort, et soudain, il entend frapper à sa porte :
"REVEILLE TOI, IL EST 11H30, LES BUS SONT PARTIS ! ON VA ÊTRE EN RETARD !"
Mince, se dit Aris, ma carrière d'arbitre est fichue. Il regarde sa montre, elle affiche 5h, mais elle est peut-être arrêtée. Aris s'habille rapidement, se débarbouille, et encore un peu vaseux, sort du chalet.
Il aperçoit alors les bus supposés partir à 10h30... ??!!
Que se passe-t-il ?

Il rentre au chalet. Et comprend ce qui s'est passé. Devinez quelle heure vous lisez en regardant votre montre à l'envers à 5h du matin ...  :-)

Aris conclu son histoire par : "Je me suis demandé où cacher son corps pour qu'il ne soit découvert qu'après les Olympiades ..."

vendredi 8 août 2014

Norvège. Vais-je au nord ?

Aujourd'hui Caruana - Carlsen ... pardon ... Italie - Norvège.
Après avoir arbitré les deux meilleurs joueurs mondiaux, voici le n°3, un italien de 22 ans.

Les gardes du corps sont de retour. Ils font moins de zèle que la dernière fois, et les journalistes peuvent flasher.

Avant la partie, je me fais discret, pour laisser opérer les photographes. Un peu en retrait, tout en gardant un œil sur les gardes du corps qui gardent un œil sur les photographes qui gardent un œil sur les joueurs (si vous voyez ce que je veux dire), j'échange quelques mots avec le coach norvégien. La température, le match difficile... machinalement, nous regardons la table 1. Soudain, comme sortant d'un sommeil hypnotique, il secoue la tête et me dit : "Il y a d'autres échiquiers", et il va encourager ses autres joueurs.
Je vois Alberto David que j'arbitre depuis 20 ans, et que j'ai connu luxembourgeois. Arrive Arthur Kogan, une vieille connaissance. Je lui demande où est son capitaine.  "C'est moi", dit-il.

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Carlsen le norvégien a joué une scandinave.

(photo site officiel)
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Les françaises jouent dans le prolongement des tables que j'arbitre. Avant la ronde, je passe derrière elles et dit à l'arbitre "Be nice with my girls !". Sophie Millet a la gentillesse de sourire.

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Une jeune femme que je ne connais pas traîne dans mon secteur. Joueuse, spectatrice ? Je lui demande si elle a un badge. "C'est bon, je suis une joueuse", sèchement. Je lui demande d'aller mettre son badge, s'il vous plait. "OK, ça va, je peux me promener où je veux quand même !"... Dans ce genre de cas, ne pas envenimer les choses. Inutile de lui dire que si tout le monde fait comme elle, ça va être un gros bordel, et n'importe qui va entrer et sortir. Inutile de lui dire que les meilleurs joueurs mondiaux mettent leur badges... non, juste penser à rester poli et respectueux. Je lui indique la direction qu'elle doit prendre, avec mon plus charmant sourire. Elle secoue la tête, très mécontente (elle est dans une zone réservée à laquelle elle n'a pas accès, mais c'est moi le méchant), et me tourne le dos, me montrant ainsi une partie de son anatomie qu'il m'est hélas interdit de botter.

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Info capitale : J'ai apporté des chemises classiques, et des chemises qui nécessitent des boutons de manchettes. J'ai oublié mes boutons de manchette à la maison, sur le piano.

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Vladimir, un jeune supporter du Luxembourg, se trouve parmi les spectateurs. Mais il a sur lui sa carte verte de joueur actif, supposé être dans la salle de jeux. J'ai dîné avec lui quelques jours plus tôt. "Tu ne joues plus ?" Si si, et il me montre son badge. "Tu ne devrais pas être au milieu des spectateurs pendant ta partie." Ah ok, il voulait juste voir les parties retransmises sur les écrans et visibles des gradins.

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Un enfant d'une dizaine d'année veut un autographe de Garry Kasparov, l'un des plus grands joueurs de tous les temps. Il lui tend un magazine avec en couverture ... Donald Duck !
J'ai vu l'ancien champion du monde signer, mais je ne sais pas s'il a écrit Garry ou Donald.

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Durant sa partie, le premier Grand-Maître du Qatar, Al-Modiahki Mohamad, mange des noisettes.

jeudi 7 août 2014

Jour de repos, rencontres

Hier nous avons fait une photo des arbitres du premier secteur


Au centre, le chef : Mehrdad Pahlevanzadeh (Iran)
De gauche à droite : Aris Marghetis (Canada), Aykut Ilker Mete (Turquie), Zsuzsa Veroci (Hongrie), Georg Kradolfer (Suisse), Thi Ahn Thu Nguyen (Vietnam), Tomasz Delega (Pologne), Stéphane Escafre (France), Margit Brokko (Estonie), Ladislav Palovsky (République Tchèque).

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Dans le bus qui nous amène vers le restaurant. Avec mon polo Kasparov, que j'ai eu bien du mal à avoir.
C'est le jour de repos, la neutralité n'est plus de mise.
 
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Au repas de midi, Boris Perkovic a rapporté du piment. Merci Boris.
A gauche Nadir Bounzou et votre serviteur. A droite Boris Perkovic (Slovenie) et Caryl Patrick Ratsimikatry (Madagascar).




A la fin du repas, je remarque que mon voisin est le célèbre polonais Andrzej Filipowicz. C'est le président de la commission technique de la fédération internationale. Il a connu des gens comme Anand ou Kasparov quand ils étaient enfants. Il a arbitré les plus grands. Il parle parfaitement français. Maître International, il était l'arbitre du Trophée Intel en 1996, au théâtre des Champs Elysées.

(Nadir espère que le talent soit contagieux)

Voici une anecdote que nous a racontée, entre deux desserts, Maître Filipowicz. Trophée Intel 96 :
On annonce à Vishy Anand que la ronde suivante est à 13h... Il n'est pas là à l'heure officielle. Nicolas Giffard fait un peu traîner les présentations pour gagner du temps. Toujours pas de Anand. Son adversaire, Kasparov, est là, il faut bien commencer la partie... Mise en route du chrono. Au bout de 25 minutes, victoire au temps de Kasparov sans jouer. Filipowicz annonce que la partie suivante est dans dix minutes. Où est Anand ? ... Filipowicz lance la pendule, et Kasparov annonce qu'il abandonne la partie ! Il ne veut pas gagner sans jouer. Cela fait match nul.
Puis Anand arrive enfin. Il va pouvoir jouer le match de départage. Que s'était-il passé ?
On lui avait bien annoncé qu'il jouait à 13h... mais Anand habite en Espagne. Si vous prononcez "Trez heures" en français, il entend "Tres heures", c'est à dire "trois heures".
Il faut penser à tout.

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L'après-midi, j'assiste, en simple observateur à l'assemblée générale de l'Association Internationale Des Échecs Francophones (AIDEF). La fédération française n'a pas souhaité être représentée. J'y reviendrai un autre jour.

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Découvrez le blog de ma collègue, Zsuzsa Veroci. En plus d'être arbitre internationale, d'avoir de l'humour (c'est elle qui m'appelle "TV Arbiter"), elle est Grand Maître. On y trouve son analyse sportive de la journée, notamment des équipes hongroises. On y trouve aussi des photos de moi, avec le n°1 et le n°2 mondial, ce qui va pousser ma mère à se mettre à apprendre le hongrois. L'apprentissage du hongrois est enfantin, d'ailleurs en Hongrie des jeunes enfants parlent très bien hongrois (blague racontée à midi par Filipowicz).


mais aussi des photos des frères Dalton

tagada tagada voilà les chinois

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Il commence à faire un peu nuit... enfin un peu sombre ... quelques minutes, vers 1h du matin.

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Durant sa partie, Vladimir Kramnik mange des fruits séchés et du chocolat.

mercredi 6 août 2014

Comité des règles du jeu, et tv-star.

Matin : nous prenons le bus pour nous rendre à la réunion du Comité des Règles du jeu.
Sur la route, on voit des sortes de tipis, hommage au peuple Samis, les premiers habitants de la région.


D'autres reliques sacrées nous attendent à la salle de réunion :
D'abord le grand chef parmi les chefs des règlements, le respecté Geurt Gijssen (tout au fond, costume sombre). Il était mon chef à Turin. 
A sa gauche, Ashot Vardapetian, l'un des meilleurs arbitres du monde.

(photo Stephen Boyd)

A la pause, Ashot essaie de se servir un thé. Cet homme est extrêmement cultivé, bardé de diplômes. Mais l'université n'apprend pas à faire du thé. Il cherche l'eau chaude depuis quelques minutes. Trouvant le temps long (je veux boire), je propose mon aide, en glissant la tasse sous le levier "hot water" (eau chaude)... Il me remercie, et me dit que jusqu'ici, il n'avait pas trouvé ce bouton, et qu'il avait dû faire infuser son thé dans ... du café.

Sur les règlements, le comité va proposer un adoucissement de la règle du téléphone. Si l'AG de la FIDE est d'accord, on pourra laisser son téléphone éteint dans un sac, mais surtout ne pas l'avoir sur soi.

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Midi : Nous allons manger au Clarion - The Edge, un hôtel proche de la salle de réunion.
Des tables sont réservées pour les arbitres. Accolé au slogan de l’hôtel cela donne une déclaration touchante :

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Salle de jeu. Chacun va dans son coin. J'arbitre encore le champion du monde. On s'habitue, mais on ne se lasse pas, c'est comme le saumon.
J'installe mes affaires, et Karl Rist, arbitre et organisateur norvégien vient me voir :
- Comment vous appelez-vous, déjà ?
Je lui montre mon badge
- Stéphane Escafre.
- Escape ("s’échapper" en anglais) ? demande Karl.
- Est-ce qu'affreux, réponds-je. Pourquoi ?
- Et bien, ce sont les gars de la TV, votre visage est connu maintenant. Mais les gens demandent "Comment s'appelle ce gentleman qui se tient toujours à côté de Magnus ?"

Petite réunion d'avant match. Le Sector Arbiter écorche lui-aussi mon nom. Plusieurs arbitres essaient de le prononcer sans succès. Aris Marghetis, arbitre canadien d'origine grecque, parle parfaitement notre langue. Il me dit que mon nom est un exercice de prononciation complexe, qu'il y a un piège à chaque syllabe. Aris prononce mon nom parfaitement. De mon côté, je suis incapable de prononcer la moitié des noms de mes collègues correctement.

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(capture d'écran de Cyril Humeau)

A gauche Aronian, le n°2 mondial. A droite Carlsen, n°1 mondial et champion du monde en titre. 
Au centre, votre serviteur, n° 119.582 mondial (véridique) mais ... arbitre international ...chacun son domaine.

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Georg Kradolfer, arbitre suisse, me montre sa feuille de match. Il arbitre la Géorgie et il trouve ça drôle. Pour Georg, la Géorgie. Il précise : "c'est mon prénom, pas ma fédération". 

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Beaucoup de monde agglutinés autour du premier échiquier. Le n°1 mondial contre le n°2, ce n'est pas tous les jours. L'organisation a prévu deux gardes du corps. Ils sont aussi impressionnants que des arbitres, en un peu plus musclés.

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Des joueurs, ou des capitaines d'autres matches tentent de se glisser entre les tables pour suivre la partie. Je les renvoie dans leur secteur poliment. J'ai droit à deux réactions : "Ah bon ?"... ils découvrent la règle, ou encore : "Mais je ne suis pas n'importe qui !" Personne ne s'excuse.

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Durant sa partie, Maxime Vachier-Lagrave (n°1 français, 9° mondial) mange un kinder bueno.



mardi 5 août 2014

Rondes et rondes petits pas lapons

Toujours en Laponie pour les Olympiades.

Je décide de ne pas manger de saumon ce matin.
Pas de saumon à midi non plus.
 Et avec une force de volonté hors du commun, pas de saumon ce soir.

J'arbitre encore la Norvège et son Champion du Monde. Le tournoi occupe 5h de direct à la télévision nationale, chaque jour. Plus le live des parties sur internet.
J'arrive dans le premier secteur, et une collègue me lance "here is the TV arbiter !", mi-moqueuse, mi-jalouse. Un peu avant le début de la ronde, elle vient faire des photos du champion. Il reste encore quelques minutes, et comme tout est prêt, je lui propose de la prendre en photo avec Magnus. Elle hésite un peu et finalement me passe son appareil.

Le chef arbitre vient me prévenir que la ministre de la pêche (ce n'est pas rien en Norvège) va donner le coup d'envoi. Comme c'est une femme, je lui dis que ce serait peut-être bien qu'elle passe chez l'équipe féminine... et finalement elle embêtera mon voisin. Yes ! Moins de journaliste, moins de caméra, donc moins de problèmes à gérer  . . .  :-) Vive la parité !

(photo site officiel)

Garry Kasparov fait son petit tour quotidien. La partie Carlsen (2877) - Wojtaszek (2735) intéresse l'ancien champion du monde. Il commence à faire son numéro. Il joue avec son nez. Il commence à le gratter, puis le frotte assez fort. Il remonte ensuite son nez avec son doigt pendant assez longtemps. Curieusement, je n'arrive pas à "lire" ce qu'il pense de la position. Puis Magnus Carlsen joue g4. Et soudain, le visage s'illumine, un sourire jusqu'aux oreilles. Il secoue la tête, plisse les lèvres. On peut lire clairement "Elle est bonne celle-là ! tu lui as fait une super blague. Bien joué mon gars !" et il repart approbateur.

Le badge de Kasparov indique qu'il fait partie de la "Campagne de Garry Kasparov". Rupture d'objets publicitaire pour sa campagne électorale.
Seulement 500 livres ont été distribués, alors qu'il y a plus de 1200 participants.

Pendant ce temps, son concurrent arrose généreusement. Nous avons reçu des mallettes, une horloge, tee-shirt, casquette, stylo, clé usb et un manuel de l'arbitre 2014.
Certains collègues que je ne nommerai pas se sont laissés acheter.
Impossible d'avoir un tee-shirt Kasparov... je ne sais pas qui va gagner, mais je sais qui fait la meilleure campagne.


J'ai croisé aujourd'hui Sava Stoisavljevic, secrétaire générale de l'European Chess Union. Les élections approchent là-aussi. Elle me dit qu'elle lit régulièrement "An Arbiter's Journey"...
Nous échangeons quelques mots sur rien. Je lui demande si elle n'en a pas marre des réunions suivies de réunions... elle m'explique que c'est pour ça qu'elle parle avec un arbitre, ... c'est reposant.

Sava et moi en Géorgie, lors des championnats du monde féminins de rapide et blitz. La complicité et la bonne humeur ne se lisent-elles pas sur nos visages ? (photo Chessbase).


La vue que j'ai pendant que j'écris.
Difficile d'imaginer qu'il est bientôt une heure du matin.









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Durant ses parties, Levon Aronian mange des cacahuètes, noix de cajous, et des raisins secs.