lundi 1 juillet 2019

heuristique de jugement, ou comment garder la tête froide sous la canicule

Etes-vous familier avec le concept d' "heuristique de jugement" ?

C'est une opération mentale rapide, une intuition, un automatisme. Ces intuitions qui nous sont utiles dans la vie de tous les jours : vous marchez sur le trottoir plutôt que sur la route, vous caressez les chats plutôt que les crocodiles, s'il pleut vous prenez votre parapluie sans réfléchir.
Ces jugements automatiques permettent de gagner du temps. Vous décidez sans y penser, en vous basant sur des statistiques, votre expérience, le bon sens etc.

L'heuristique de jugement vous poussera à défendre systématiquement les policiers qui attaquent les bandits, ou l'inverse si votre père était dealer de drogue.
Face à une opposition ou des courtisans, vous utilisez aussi des "heuristiques de jugement", des raccourcis, des biais.
Mais il existe une troisième voie : inhiber ces automatismes et vous poser des questions. Entrer dans la complexité du raisonnement.

Au jeu d'échecs, nous utilisons ces raccourcis, ces intuitions : Si notre adversaire sort la Dame trop tôt, nous "savons" qu'il joue un mauvais coup. Si nous voyons un pion en prise, nous "savons" qu'il faut le prendre... mais parfois, le pion est empoisonné, et la Dame crée une réelle menace.
Heuristique de jugement : "Je joue Fou prend Cavalier car je vais lui créer des pions doublés faibles."
Inhibition de l'heuristique de jugement, on se pose des questions : ok je crée des pions doublés, mais ça lui ouvre une colonne sur mon Roi... donc je ne prends pas.

Les arbitres sont souvent confrontés à des parents qui défendent leur enfant. Les parents sont dans l'heuristique de jugement. Il est naturel pour un père ou une mère de protéger sa famille. Instinctivement, ils jugeront que leur enfant a raison, et que l'adversaire a tort. Au passage, vous noterez que les parents de l'adversaire pensent exactement l'inverse. C'est pourquoi les tournois ne sont pas arbitrés par les parents : ils n'arrivent pas à inhiber l'heuristique de jugement. Je n'ai jamais entendu une maman me dire "Kevin raconte souvent n'importe quoi, je suppose que si son adversaire dit qu'il a touché la pièce ça doit être vrai, vous devriez faire confiance à ce gentil adversaire et punir mon fils." Et c'est très sain pour la survie de l'espèce : une mère protège son enfant. Point.

Autre exemple :
Heuristique de jugement : Tout ce que fait Bachar Kouatly ou Léo Battesti est génial.
Heuristique de jugement : Tout ce que dit Léo Battesti ou Bachar Kouatly est douteux.
Ces jugements rapides sont utiles en période électorale, si on veut avancer : on ne peut pas se remettre en question en permanence, et il est plus facile de considérer "qu'ils sont les méchants, et que nous sommes les gentils". Mais une fois qu'une équipe est en place, il n'est plus utile de rester en opposition ou en admiration systématique. Pourquoi ne pas réfléchir de temps en temps ?
Que se passe-t-il en ce moment dans votre esprit ? Vous avez lu des noms avec une charge émotionnelle forte : Léo Battesti et Bachar Kouatly. Vous avez peut être un a priori sur ces deux personnes. Ils sont eux-même souvent dans le registre du sentiment. Vous vous attendez à ce que je tape sur l'un et que je défende l'autre... et si je ne choisi pas le bon camp, gare à moi !
Quand je dois prendre une décision concernant M. Battesti ou M. Kouatly, je dois inhiber mon heuristique de jugement. Je dois d'abord prendre conscience de mes intuitions et de mes automatismes :
Léo Battesti a toute ma sympathie, je me méfie de Bachar Kouatly.
Je ne remets pas en question mon instinct qui me pousse naturellement vers le président de la ligue corse plutôt que vers le président de la fédération, mais j'en tiens compte et j'essaie de rationaliser mes choix.

Exemple pratique :
Heuristique de jugement : Si Léo ne prend pas de licences B, c'est pour nuire à la FFE.
Inhibition de l'heuristique de jugement : La victoire des "méchants" contre Léo Battesti a peut être été un élément déclencheur, mais... Et si la prise de licences corses répondait à un vrai besoin ? Et s'il était naturel de ne pas prendre des licences B pour des enfants qui ne viennent pas en club ? Est-ce que la situation n'est pas comparable à ce qui se pratique dans l'Est de la France, les écoles parisiennes ou le lyonnais, avec une amélioration significative : donner un cadre, une reconnaissance à des pratiquants réels ? etc.

C'est fatiguant de se poser des questions. C'est plus facile de partir du principe que le corse est méchant.
Les arguments avancés ne me semblent pourtant pas partisans. Ils sont les mêmes que ceux qui ont émergés des discussions en Comité Directeur, et ce sont ceux que j'ai entendus en Assemblée Générale. Défendre ces arguments, ce n'est pas mener une campagne contre le président fédéral, ce n'est pas non plus être un partisan inconditionnel du président corse.

Quand on a certaines responsabilités, on doit les assumer en étouffant son instinct. On doit garder de la hauteur.
Le président fédéral et le directeur général (les appeler par leur fonction permet de garder une distance, et donc de tendre vers l'objectivité) insistent beaucoup sur la Corse qui a occupé un quart du temps de l'AG fédérale, après avoir été discutée en CD, été à la Une du site fédéral... rien de concret n'a été reproché à la ligue corse (je parle des non prises de licences B). Mon jugement est faussé par mon amitié pour Léo Battesti. Mais il me semble que le dossier est vide et doit donc être classé rapidement. Au lieu de chercher des fautes où il n'y en a pas, il est temps de mettre en avant les formidables actions (championnats scolaires avec 3000 enfants par exemple !) conduites sur ce territoire, et dont la FFE peut être fière.

Chacun peut inhiber ses heuristiques de jugement, et se poser des questions simples : quels sont mes instincts vis à vis de la ligue corse et de son président ? En d'autres termes : ma raison est-elle dominée par mes sentiments ?

Cet exercice peut s'appliquer à d'autres ligues et à d'autres personnes.

Je regarde objectivement ce qui se passe avec la Corse. Je regarde objectivement ce qui se passe avec le président fédéral. Merci à tous d'en faire de même et de ne pas trop se fier à son instinct pour juger des situations complexes.
J'ai une bonne nouvelle pour vous : un joueur d'échecs peut se permettre de réfléchir en dehors de l'échiquier.